A Longo Maï, contestataires nous étions dans les années 70, contestataires nous sommes restés, avec notre radio libre, nos poules, nos moutons, nos tomates, nos amis du monde entier, avec ou sans papiers,nomades ou sédentaires. Pensé comme un espace d’autonomie et de liberté, Longo Maï s’est construit en rupture avec l’idéologie dominante, avec ténacité, avec des jeunes réfractaires, turbulents, pragmatiques et poètes. Citadins déracinés, nous avons voulu réapprendre les gestes de nos ancêtres, leurs savoir-faire, pour mieux maîtriser nos vies, échapper à la fatalité de la soumission à cet ordre établi et au rouleau compresseur de la conformité et du « normal ». Nous savons que nous ne sommes que quelques « moutons noirs » à ramer à contre courant de cette déferlante. Mais nous avons réappris les gestes de la survie dans ce monde où tout homme dépend de la société, alors que celle-ci l’expulse un peu plus tous les jours en le poussant vers un individualisme forcené.
Nous avons réappris à capter des sources, à économiser l’eau, aujourd’hui de plus en plus rare et chère. Nous avons appris à labourer un champ, à planter fleurs et salades, à élever poules, cochons, moutons, chevaux. Notre radio, Radio Zinzine, est un lien permanent avec l’extérieur, une plate forme politique, un lieu de rencontres. Un peu trop conquérants au début, nous avons eu des enfants qui nous ont appris la patience, les rythmes des saisons, du jour et de la nuit, les compromis à faire dans toute vie à plusieurs.
Nous avons eu nos morts à enterrer et à accompagner, qui nous ont appris combien la vie est fragile, éphémère, souvent douloureuse, qui nous ont rendus peut-être plus humbles par rapport à nous même, à nos activités, plus surs de nos choix.
(…) Longo Maï, projet « poil à gratter », est devenu une petite société à part entière de 200 personnes, adultes et enfants, avec ses réussites, ses échecs, ses remises en question par une nouvelle génération, ses contradictions, et ne se veut en aucun cas un modèle à copier. Si Longo Maï cherche un maximum d’autonomie, sans en faire un dogme, la recherche de fonds dans nos réseaux en Suisse et en France reste nécessaire pour de gros investissements ou des projets plus ambitieux.Il n’y a pas de salariés à Longo Maï : une caisse commune gérée collectivement décide des choix financiers et répond aux besoins personnels. (…) Longo Maï se veut plutôt une incitation à se prendre en main, à résister ensemble, à réinventer un futur plus humain, plus convivial, avec d’autres, en dehors des sentiers battus, sans tabous, sans hiérarchie, en acceptant de partager les biens communs à tous dans les limites de notre petite terre.
Jacques Berguerand, dans « produire de la richesse autrement » éditions CETIM, Genève